Maeva Aubert, les soirées nomades de la Fondation Cartier pour l’art contemporain

Par Maeva Aubert

Pour paraphraser Robert Filiou que les films soient bien faits, mal faits ou presque pas faits, selon ce qu’il nomme à juste titre son « principe d’équivalence », l’essentiel reste ce qu’ils sont. Les films sans qualité déjouent ce que l’époque dénomme « politically correct » à travers des actes filmiques parfois déroutants.

Les films sans qualité

À l’heure où le monde médiatique prédomine jusque dans la création artistique, avec un soucis de bonne conscience en donnant mauvaise conscience, à une époque où s’engager pour Sarajevo témoigne d’un geste héroïque, il y a aussi en contrepartie une résistance silencieuse qui participe à une subversion du conformisme, de la référence à tout prix, en développant une esthétique de la désimplication.

Si Claude Bossion, Henri-François Imbert et Philippe Stepczak cinéastes indépendants, font face à la complaisance générale d’un cinéma qui s’enterine dans le carcan du divertissement ou de la jouissance rétinienne, ils sont aussi les témoins actifs d’une prise de position qui, certes, n’est pas nouvelle mais qui persiste malgré le temps. On pense alors à un esprit subversion à travers l’absurde, l’ironique et le ludique, qui s’applique à dérouter la « soi disant » notion de sens par une désacralisation systématique du médium, ici le cinéma. Il serait imprudent d’attribuer une filiation aux films d’Henri François Imbert, philippe et Claude. On serait bien sûr, tenté de parler des Situationnistes, des lettristes ou de DADA et Fluxus ? Cependant, ils ne se limitent pas à reproduire des schémas sans les comprendre ou plutôt sans les sentir. Il n’est pas ici question de démarches analytiques mais de reconnaissances ou d’affinités électives.

Car si l’on peut rapprocher l’appropriation du film de famille trouvé aux puces (comme le repas champêtre, sur une communion solennelle ou Essai d’incohérence filmé probablement au Clud Med) avec le ready-made, il est possible de qualifier le travail de chacun « facile » : ... « ... Il ne faut pas faire les choses avec trop d’importance dans le domaine artistique, il faut laisser les choses couler d’elles-mêmes et ne pas trop réfléchir, à ce que l’on fait, se faire entendre, etc. » Mais pourquoi ne pas envisager le droit à la paresse ?

Car ce n’est ni la difficulté, ni les prouesses « esthétisantes » qui constituent le travail de chacun mais un certain élan créatif et une immédiateté de l’action. Et tant pis si certains inconditionnels de la culture élitiste du cinéma « d’auteur », du très vénéré cinéma « d’art et essai » peuvent qualifier leur démarche de « fumisterie » ou de films potaches, ou plutôt tant mieux.
Pourquoi ne pas filmer la vie dans sa simplicité, afin d’insérer une peu de cette vie, aussi banale et insignifiante soit-elle, dans la sphère de l’art afin de le dédramatiser ?

Les films d’Henri-François Imbert, Philippe Stepczak et Claude Bossion ne se soumettent pas à des modèles déjà inscrits dans les films d’auteurs mais se constituent par des rejets ( Essai d’incohérence ce n’est pas bien de prendre les choses des autres, surtout ceux qui font des choses dans le même domaine... »)

Prendre comme dynamique l’instabilité qui diffère toute affirmation et se constitue en déjouant tout discours. Lorsque le film est commenté de manière hésitante et maladroite, il ne signifie rien d’autre que sa perte, sa destruction, un constat d’échec par l’évanouissement du sens mis en évidence en « parlant pour ne rien dire » ( Marx et les recollets, Gouizette, Essais d’incohérence : ...donc voilà ce film, il ne fait pas trop faire attention , on n’est pas des dieux , il faut laisser les choses se faire » .)

Leurs films tendent à suspendre le jugement par la dérision. Il n’existe pas de mot d’ordre mais plutôt une attitude sceptique et déconcertante. Par ce processus, les Films sans qualité tentent de neutraliser la conformité. Notre époque pense dans l’inexactitude, cela n’est peut-être rien d’autre que l’incapacité à analyser l’histoire contemporaine, faute de recul. Les films sans qualité sont justement le reflet de cette difficulté à ne pas se laisser embrigader dans les prises de position trop affirmatives. Ils sont l’expression du doute et de l’incertitude.

Et pourquoi la qualité serait- elle légitime ? Pour paraphraser Robert Filiou que les films soit bien faits, mal faits ou presque pas faits, selon ce qu’il nomme à juste titre son « principe d’équivalence », l’essentiel reste ce qu’ils sont. Les films sans qualité déjouent ce que l’époque dénomme « politically correct » à travers des actes filmiques parfois déroutants.

À travers ses films sur ses parents Henri-François Imbert montre la potentialité du film de famille, comme approche pour le documentaire, Papa tond la pelouse est pourtant un documentaire qui traduit la subjectivité d’une relation filiale sans emprunter les codes normalisés du didactique.

Ces films à l’aspect volatile, tant dans la fugacité de l’image que dans la figure non éloquente et improvisée des commentaires post-synchro marquent leur caractère éphémère, évanescent et jouent sur un état d’esprit qui ironise sur leur capacité techniques et non sur leurs recherches d’un point de vue à exprimer. Dans Gouizette, Claude Bossion a filmé quotidiennement sa chienne en train de faire ses besoins, tandis qu’il questionne indirectement à travers elle sur la condition sur cinéma.

L’aspect « bouffon » que représentent les fils sans qualités, bien qu’ils aboutissement à des aspects différents, active une mise en question en s’opposant à toutes les formes de satisfaction visuelles de complaisance. C’est cette attitude critique qui permet de mesurer le discours latent à l’œuvre. Le film n’est plus un faire-valoir artistique car la part d’imposture est marquée par une ironie dévastatrice qui altère son objet.

Maeva AUBERT Paris le 22 octobre 1994

Mise à jour: mercredi 7 octobre 2009